The Ministry for the Future (2020) de Kim Stanley Robinson
Le dernier roman de Kim Stanley Robinson (La Trilogie martienne) continue dans la voie des romans précédents de l’auteur (Aurora, New York 2140) qui projettent dans l’avenir relativement proche de l’homme sur terre en imaginant les conséquences de l’inaction climatique ainsi que les solutions qu’il envisagera à la dernière heure. Le récit débute en 2025 lorsqu’une « ampoule de chaleur », phénomène météorologique mortel à l’homme où une température atmosphérique de 35°C se conjugue avec un taux d’humidité très élevé, descende sur l’Inde et fait 20 millions de morts. L’Inde entreprend une action unilatérale, jugée risquée par la communauté scientifique, consistant à émettre dans l’espace aérien au dessus du sud du pays un gaz réfléchissant à base de soufre qui pourrait réduire la température moyenne à l’échelle mondiale d’un degré Celsius pendant plusieurs années. Ces deux événements incitent l’Organisation des Nations Unies à créer un nouvel organisme, le Ministry for the Future éponyme, chargé de concevoir et de concerter une stratégie mondiale pour maintenir le réchauffement climatique en deçà de la limite de 2°C fixée par l’accord de Paris sur le climat en 2015. Partant de méthodes traditionnelles de diplomatie et de gestion du conflit, le Ministry of the Future sous Mary Murphy, diplomate irlandaise nommée à la tête du ministère dès son origine, peine dans des premières années d’existence à influer sur les pratiques des gouvernements et des entreprises pour faire fléchir la courbe des émissions. Une rencontre fortuite avec un militant climatique à Zurich, un Américain radicalisé par son expérience traumatique de l’« ampoule de chaleur » indienne, convaincra Mary Murphy de la nécessité de poursuivre des méthodes plus radicales pour leur mettre la pression, à savoir la création d’une branche obscure du ministère procédant à des assassinats politiques stratégiques. Le parcours de Mary Murphy au sein du ministère ainsi que sa relation avec le militant américain vivant clandestinement dans les camps de réfugiés à Zurich, seront les fils rouges du récit. La narration alterne ces passages, narrés à la troisième personne, et des témoignages à la première personne d’un petit nombre de personnages (dont un réfugié climatique s’acheminant vers l’Europe et un glaciologue à la tête d’un projet de géo-ingénieurie consistant à siphonner l’eau liquide sous la banquise antarctique pour ralentir son effondrement et la montée des mers). Enfin, plusieurs chapitres prennent le style d’un procès verbal de réunions internes, ce qui permet à l’auteur de fournir des explications détaillées sur les stratégies économiques adoptées par le ministère, notamment l’instauration d’une nouvelle monnaie (Carbon Coin) dont la valeur est liée à l’élimination ou à la capture des émissions CO2.
Somme tout, le Ministry of the Future est un roman foisonnant, plein d’idées et de personnages, qui donne un aperçu de la complexité de la crise climatique sous son aspect social, politique, économique et sentimentale en réunissant un grand nombre de perspectives et de voix narratives diverses. La question du rôle de la violence politique et du terrorisme préoccupe l’auteur particulièrement et en effet cela reste une question ouverte jusqu’à la fin -- en plus du soutien accordé par le ministère à des tactiques politiques violentes, un organisme terroriste connu sous le nom des « enfants de Kali » créé par les survivants de la première ampoule de chaleur indienne joue un rôle important dans la transition vers l’économie verte. On pourrait peut-être reprocher à l’auteur de prendre une approche un peu trop évident à la représentation d’une crise à l’échelle mondiale, celle de la diversité stylistique, de la multiplication des voix et des perspectives. En effet, la synthèse de ces éléments n’est pas tout à fait réussi – il s’agit en fin de compte d’un roman réaliste assez traditionnel centré sur le parcours d’une héroïne avec des passages explicatifs intercalés et dont la portée émotionnelle est un peu limitée par une représentation psychologique conventionnelle. C’est donc malgré tout un livre de science-fiction, quoi que très ambitieux, qui fait passer un message opportun et agréablement optimiste en l’attelant à une trame narrative complexe et admirablement bien menée.
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