Molière d'Ariane Mnouchkine (Première partie)

 

La première partie du Molière d’Ariane Mnouchkine raconte les années formatives du jeune Jean Baptiste Poquelin. Fils d’un tapissier Parisien, il eut une jeunesse relativement aisée qui l’a permis de fréquenter le bas peuple et de jouir de leurs passe-temps et de leurs distractions, dont le théâtre de rue et le carnaval, sans avoir à connaître la pénurie et l’indigence. Mnouchkine tient beaucoup à mettre l’accent sur toutes les formes non-consacrées du spectacle dont les jeux d’enfants, les bagarres sur la place publique, les réjouissances du carnaval, auxquelles Jean-Baptiste participe toute en y portant en permanence un regard pénétrant, celui à la fois d’un spectateur et celui d’un metteur en scène et d’un dramaturge en devenir. Ayant atteint la majorité, il s’essaie d’abord au métier de tapissier puis à celui de d’avocat. Une rencontre fortuite avec Madeline Béjart et sa troupe itinérante de comédiens s’avère déterminant – il informe son père, hostile dans un premier temps puis tolérant par amour paternel, de son intention de devenir acteur. Il quitte donc Paris pour rejoindre une troupe d’acteurs toulousaine, amis de Béjart. Cette première partie du film conclut par une course surréelle à travers un champ herbeux balayé par le vent, qui emporte une scène en bois peuplé d’acteurs en plein performance jusqu’au bord d’une falaise. La carrière d’acteur de Molière prend symboliquement son envol. (Image ci-dessous)


En toile de fond, la monarchie absolue s’impose progressivement sur la vie sociale, économique, religieuse des français. La répression du carnaval par l’église à l’aide des soldats du roi est la scène maîtresse de cette première partie, et en termes de longueur et en termes de son importance, suggéré par sa longueur, dans la compréhension du parcours de Molière qui serait inextricable de l’évolution sociale, religieuse, et politique de la France au cours de ce que le film désigne comme étant la « première époque » de sa vie. En effet, à l’image de cette société française sous l’emprise de plus en plus serrée de la monarchie absolue, le théâtre de Molière laissera progressivement derrière lui ses origines carnavalesques, pour devenir l’un des modèles exemplaires du classicisme.


On remarque en termes de l’approche esthétique du film le souci de réalisme de la metteuse en scène qui disposait vraisemblablement d’un budget important, permettant de restituer le Paris urbaine de l’époque de Molière – des dizaines de costumes et d’acteurs, voire plus si on en croit aux matériaux publicitaires du film, rues crasses et boueuses, soldats à cheval, etc. L’échelle de la production est assez impressionnante. Ce n’est pas clair cependant dans quelle mesure cet effort de restitution historique contribue à l’élaboration du personnage de Jean-Baptiste qui se tient en retrait de l’action dans cette première partie, qui parle peu, qui se mélange dans la foule populaire et celle des étudiants de la fac de droit, et parmi la troupe des comédiens. Ce Molière en devenir est un chiffre, un observateur passif qui ne s’est pas encore distingué parmi ses congénères, qui ne s’impose pas sauf par son refus hésitant de se conformer au parcours que son père bourgeois a envisagé pour lui. Reste à voir dans la deuxième partie s’il s’agit d’un choix assumé de la metteuse en scène que le personnage éponyme se perde dans les décors, qu’il soit maintenu en retrait, un homme creux propre à endosser des masques et des rôles qu’il se créera lui-même, et qu’il ferra porter aux autres. 

 

(Molière [Philippe Caubère] au carnaval)



 



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